© A. Guéguen
© A. Guéguen

Bruxelles, place de la bourse, les langues se mélangent, soir tombe, passants passent ou s’attardent, questionnent, repartent, zigzaguent. Les assis s’accaparent les édifices édifiants, monopolisent une dalle ou quelques pavés. Stoïques, les statues prennent de haut ces fourmillages instinctifs à peine distinguables de ceux qui deux siècles plus tôt… Deux boudins font danser leurs hanches, se frôlent, puis se collent sans perdre le rythme, souriant… Magnifique. Mais ce n’est rien encore comparé aux passes espagnoles qui s’ensuivent, s’enlacent, s’encanaillent sans déconner, sérieusement, cent fois mieux qu’un ballet réglé tip top… Ces superbes connasses se désirent à en rendre jaloux tous les connards frustrés dont je suis. Et je te soulève ta jupe, mienne, tienne, caresse l’air… Au ras du sol grattent les guitaristes ibériques et néanmoins approximatifs dans leurs rythmiques et surtout leurs solos frôlant parfois le blues atonal. Mais les types n’ont pas l’air de s’en faire, l’important est ailleurs, avenir proche, fillette nubile au con vainqueur. Et voilà que squattent des flics, histoire de remettre ce monde d’équerre : ivrognes et clodos oeuvrant aveuglément contre le tourisme local. Bagarres inévitables en raison de la veulerie des forces pacifistes en présence. Mais sinon, qu’est-ce qu’on attend par ici ? Devrais-je tenter l’impossible ? Lancer une émeute ? Entamer une harangue définitive ? Proposer de cardinales vérités ? Prédire le passé ? Interpréter l’avenir ? Qu’est-ce qui serait le mieux pour eux et pour moi ? Que je leur offre ce qu’ils n’imaginent même pas, ou que je me contente de l’attendu, du convenu et de ses fatigants poncifs ? Pas d’humeur à me battre, j’envisage une folle (quoique paisible) entente. Seulement, envisager profondément revient à imaginer et, dans mon cas, à me guérir de l’envie de passer à la phase pratique. C’est vrai, pourquoi vivre la pâle copie d’une projection rendue parfaite par un cerveau rodé à l’exercice ? Résultat : je replonge dans un confortable mutisme avant même d’avoir eu le temps de m’ouvrir !

 

© A. Guéguen (2005)